Rationalité(s) ou l’art de ne jamais avoir raison

N’avez-vous jamais perdu votre temps à démontrer à un ami l’inanité de son traitement homéopathique sans parvenir à avoir le dernier mot ? Ne vous êtes-vous jamais pris le bec avec un autre ami au sujet de l’existence d’un dieu quelconque ? Votre adversaire et vous savez que vos positions sont irréconciliables et que ce débat est déjà perdu d’avance. Et pourtant, force est de constater que vous persistez tous deux dans votre affrontement comme si la vérité allait éclater au grand jour. Ce qu’elle ne fait que trop peu souvent. Mais peu importe. The show must go.

            Le débat contradictoire, comme activité essentielle de notre vie sociale, est-il une cause vaine sans réelle résolution ? Deux réponses sont possibles. Selon le point de vue rationaliste, il existerait un ensemble de critères rationnels permettant de trancher entre les deux parties. Ces critères se doivent d’être universellement acceptables par tout être doté de bon sens et d’un minimum de raison. L’autre point de vue est celui du relativiste pour lequel aucune des deux parties ne peut avoir le dernier mot puisqu’elles usent, toutes deux, de leur propre rationalité, de leurs propres mécanismes de preuve. La première position sous-tend une univocité descriptive du réel, alors que la seconde met en lumière la plurivocité des interprétations, parfois contradictoires, de ce réel. Même si la posture relativiste prêtera à sourire du côté du scientifique, je vais tenter de montrer que la position rationaliste, du moins dans sa version radicale, n’est pas tenable.

            Imaginez que lors de vos vacances sur la plage, vous rencontrez un diseur de bonne aventure, une sorte de devin ermite prétendant lire l’avenir dans le motif laissé par les feuilles de thé au fond d’une tasse. En bon scientifique, cette méthodologie vous laisse songeur et vous demandez au devin de vous démontrer la validité de sa théorie. Ce dernier, pour une poignée d’euros dûment marchandée, s’exécute, énonce à voix haute votre question « La méthode des feuilles de thé est-elle fiable pour connaitre l’avenir ? », scrute le marc de thé et affirme y lire la réponse « Oui ». Bien entendu, vous serez hilare car vous vous attendiez à ce que, pour être recevable, la démonstration prenne appui sur des raison extérieures à l’univers de sa tasse de thé (et, par conséquent, moins sujettes à caution). Pour définitivement clouer le bec à ce charlatan, vous allez tenter de montrer la supériorité de votre système de connaissance : la méthode scientifique. Vous vous lancerez donc dans une exposition des bonnes raisons de croire ce que dit la science. Mais sur quels principes s’appuient ces raisons ? Le principe de réfutabilité (si j’affirme que toutes les grenouilles sont verte et que j’observe une grenouille rouge, alors mon affirmation est invalidée), principe d’induction (si j’observe un grand nombre de grenouille verte, je peux induire que toutes les grenouilles sont vertes), principe de reproductibilité (si je prétends que toutes les grenouilles sont vertes, alors je dois les observer comme vertes tous les jours de l’année)… Toutes ces principes semblent naturels et de bon aloi mais sont-ils réellement fondés ? Pour qu’ils le soient, il faudrait qu’ils soient acceptés comme valables par le divin et vous (ou qu’ils prennent appui sur d’autres principes considérés comme tels). Le problème, ici, est que justement notre ermite refuse les principes scientifiques de preuve car il use d’un autre système (celui de feuilles de thé). Pour lui démontrer le caractère bien-fondé de la méthode scientifique, nous ne pouvons donc pas utiliser les principes scientifiques énoncés précédemment. Pire : notre démonstration, quand bien même elle serait pertinente, prendrait appui sur ces mêmes principes admis sans démonstration ! Pour le dire autrement, les prémisses présupposent déjà la véracité de la proposition à démontrer. Nous sommes en réalité tombés dans le même piège que le devin : à vouloir justifier notre système auprès d’autrui, nous ne faisons que lui exposer des principes uniquement valables si nous considérons notre système préalablement valide. Nous sommes donc tombés dans une circularité, à l’image du serpent qui se mord la queue. Le scientifique est un divin qui s’ignore, évoluant à l’aveugle dans son monde circulaire rationnellement clos.

            La guerre est sans issue. Les armes de l’un ne perceront jamais la carapace de l’autre. Tout débat est condamné à une cacophonie de raisons, dialoguant inlassablement mais jamais à l’unisson. Nous parlons la même langue mais pas le même langage. Et pourtant. Nous ne cessons d’échanger, et il arrive que l’on se comprenne, que l’on fasse sien, l’espace d’un instant, les principes rationnels de son interlocuteur pour mieux comprendre ce qu’il cherche à nous dire. La possibilité même de cette gymnastique ne vient que dévoiler l’existence d’une certaine structure rationnelle commune à tous les rationalités, une sorte de raison universelle capable d’appréhender et d’apprécier toutes les autres raisons. La position rationaliste du débat contradictoire, telle qu’exposée dans l’introduction, n’est donc pas tenable au vu de la pléthore de rationalités irréconciliables. Cependant la position inverse, celle relativiste, n’est guère plus convaincante au vu de l’existence d’un dénominateur rationnel commun à toutes ces rationalités, comme nous l’avons montré.

            Vous ne bénéficierez jamais de la jouissance passagère d’avoir eu le dernier mot. Toutefois, en guise de lot de consolation, et au prix raisonnable de quelques gymnastiques intellectuelles permises par une rationalité commune, vous pourrez momentanément siéger au sein de la rationalité d’autrui pour en apprécier l’architecture.

Pour aller plus loin :

Paul Boghossian, La peur du savoir. Sur le relativisme et le constructivisme de la connaissance. Trad. de l’anglais par Ophelia Deroy, Marseille, Éd. Agone, coll. Banc d’essais, 2009, 193 p.

« Dire le monde », Francis Wolff, https://www.youtube.com/watch?v=c68lfu6q57A

The flat-earther and the scientist

Yesterday I came across a very interesting video presenting a debate between a scientist and a flat-earther (i.e. someone who believes the Earth is flat). These two guys were in their respective cliché at the higher extend: on the one hand, a 50-year-old bearded scientist, wearing faded unpaired suit that her wife imposed him in order to be presentable on TV ; on the other hand, a hyperactive young man wearing sneakers, a cap and a Nike t-shirt. The clash would have seemed unavoidable. However, these two challengers turned out to have more in common than expected at first glance. More precisely: they both share the same principles for guiding their seek for truth, but deduce  different conclusions from these.

            An interesting moment in the debate occurs when the scientist explains his opponent one of the very fundamental principles ruling science: the Ockham’s Razor. According to this principle, if two theories demonstrate the same explanatory power for a given set of facts, the scientist tends to choose the one with the less number of assumptions, the most economic one, the most reasonable one. The flat-earther wisely asks: what is the most reasonable between, on the one hand, a stationary and flat earth, and, on the other hand, a moving and spherical sphere? For sure a stationary and flat earth requires the less amount of assumption: we daily experience no curvature at all when looking at the horizon from a tower and we don’t feel seasick due to the rotation of the Earth. The Ockham’s Razor seems to give advantage to a flat earth theory. Flat-earther won this round.

However, the scientist would argue that we don’t have to trust our senses every time: we feel no motion because the motion of the Earth along its axis is no strong enough to be perceived by human body (but very sensitive experiments can detect it). Furthermore, at higher altitude (for instance in a plane), the curvature of the Earth appears clearly. So “perceptions are sometimes misleading in the scientific inquiry”, would conclude the scientist. With the same kind of argument, the flat-earther can reply that the perceived curvature of the Earth we experience in a plane by staring at the horizon is simply explained by the curvature of the cockpit’s glass. Thus, he does agree with the scientist about the claim that our senses are foolish. But this scepticism about perceptions leads to opposite conclusions. In the same idea, it is pretty outlandish that NASA did send humans in a box of metal 380 000 kms away from the Earth. The passengers experienced extreme temperatures, landed on a unknown piece of rock, walked freely on it and came back to Earth safely in the same box of metal, even if, only 60 years before, the first planes were unable to fly more than few metres without crashing deadly on the ground. For sure the hypothesis of an astronaut filmed in a swimming pool of a Hollywood studio is more plausible and requires a lot less scientific assumptions. Furthermore, during the Cold War epoch, so much was at stake for the US that it was very tempting for them to simulate a successful landing in a cinema studio instead of a taking the risk of a possible unexpected rocket explosion in the air.  The flat-earther seems to have won this round again.

            For the scientist, this advocacy could seem stupid: of course the NASA’s outstanding achievement can be explained by the huge amount of money spent in R&D during the Cold War and the round shape of the Earth has been confirmed by a lot of experiments… However the problem is still there : the scientist and the flat-earther use exactly the same epistemic principle for seeking the truth: the Ockham’s Razor. They both demonstrate a strong commitment in following this principle but deduce deeply different conclusions from it. This point is even more obvious when they both pretend to adopt scientific scepticism: observing the world, stating a theory, making predictions, ruling out this theory if the predictions contradict observations, trying to find a more adequate theory, etc. I do think that both of them are sincere and apply correctly this rule. The very difference maybe rests in the fact that the classical scientists have been applying this principle for many centuries, and statements that appear to follow this principle from the point of view of the flat-earther has been ruled out for ages by the scientists. Perhaps the flat-earther missed the train and the scientist’s one is twenty centuries ahead. I am not here pretending that the flat-earther lives in the Middle Ages and believes in fairies and dragons. I just state that he is indeed a scientist – he adopts the Ockham razor principle and he is not dogmatic thanks to his skeptic posture – but he is not taking into account the 2000 years of scientific heritage. He does everything by itself, relying on the application of fundamental scientific principles to his daily life.

            Our flat-earther is like a DIY scientist, a self-made scientist, a liberalised scientist, a uberized scientist. Flat-earther is the enfant terrible of the scientific method, the illegitimate son of rational autonomy of thought, the best student of Mr Ockham’s class, the mandarin of the fundamental scientific principles. This nomad scientist assault the scientists’ strongest building in their inner foundations, forcing these scientists to argue both for and against their fundamental principles. And it is a good thing for two reasons. First, he insatiably wakes up the old queen Science from her lazy dominant position, from where she thinks that so obvious things such as planetary motion and evolution theory are graved in the stone forever. Then, Science is forced to urge her servants to renovate her kingdom’s foundation at every assault of the heretics. Second, the debate we depicted points out that science doesn’t rely on static and eternal epistemic principles but merely on temporal procedures inspired from these principles. Such procedures highly depend on the grounding historical context and modify their shape according to the state-of-art of that moment. These epistemic strategies are like chameleons fed by an inherited historical background of facts and theories. What is scientifically true is not a matter of rational reasoning but a matter of arrangement of previously collected data in such a way that it produces a coherent theory. Science has always argued a method, but how many books did she wrote about? Has anyone found a book titled “The art of doing science” or “Key principles to be a good scientist” in a library? The reason is, surprisingly enough, that science doesn’t have any systematic method per se. However, this lack of systematic methodology is not an Achilles heel but guarantees the robustness of the scientific inquiry. Good science can adapt its strategy in real time to solve more efficiently the problems it faces. This plastic method is indebted of ages of past scientific investigations. In contrast, the flat-earthers’ method starts from scratch again and again.

            This paper draws the conclusion that the classical scientific inquiry cannot be only characterized by its use of a certain static set of epistemic principle (for instance, Ockham’s Razor), otherwise science should definitely agree with the flat earth theory. Instead, scientific inquiry uses a weaker version of these principles, fed by a background of past events, theories, observations and which has been conducted ages ago. There is no such thing as absolute scientific method. There is no method but a plastic one, always in movement and redefinition.

Uber-mensch is the new black

It is raining. You had a difficult day. Your dear colleagues’ robotic VoIP voices have been hurting your ears for hours on end. The office lunch delivery service did not bring you the sandwich you ordered. You wasted hours dealing with layout improvement of a report you have been writing for three month (but that nobody will read, by definition of a report). But before thinking about suicide [about ending it all], you decide to ease your frustration with a comforting delivered dish. Damn, you deserve it. You open your Uber/Deliveroo/Take-away app and you end up choosing a duck ramen. Once it is ordered, the app informs you that Rachid, your personal deliverer, will brave the rain to feed your stomach. Your half-warm half-cold ramen finally arrives at your place on time. As you enjoy your meal, you are thinking: ‘Uber is fantastic. While having a regular job, these delivery boys or taxi drivers can work overtime as much as they want, be self-employed and manage their time as they please while avoiding a boss’ blind authority. Uber has greatly changed employment’s ecosystem. As opposed to regular companies, Uber has no employees but partners. This makes all the difference. Here is society’s new black.’ In this short article, I will argue that this new way of working is not an epiphenomenon. It is a deep mutation of our society, both on its economic and social aspects, which started far before Uber.

Giving more and more economical liberty de jure to individuals is not enough to build a coherent policy and make individuals willing it

To understand this mutation let’s go back to its origins: the eighties. Eighties rhymes with pop bands wearing flashy colors and bling-bling rappers. This fric et chic decade is tightly entangled with a very special economical and political landscape : the fall of socialism(s) (both in Europe with the failure of the first Mitterrand government, and in USSR with the adoption of the Perestroika) and the rise a new kind of liberalism introduced by leaders such as Thatcher and Reagan : the neoliberalism. The latter promotes an absolutely free trade and demonstrates a skepticism against the welfare state and regularization of institutions and markets. Since the eighteens many concrete reforms has been adopted in order to enforce and promote a more liberal society. But giving more and more economical liberty de jure to individuals is not enough to build a coherent policy and make individuals willing it. Indeed, one can promote all economical liberties for an individual (by the way of official speeches or laws), but if individuals does not consider themselves – in their inner nature – free, this liberty is a lure, an artificial and theoretical utopia only possible for rich people. Given this prior skepticism from citizen against neoliberal speech, how the latter arose to settle itself as a coherent and globalized political project ? The key of success was not to force individuals to embrace this neoliberal politics but instead to modify, through speech and companies’ structure, the conception of the social human being itself.

All these seems pretty abstract, isn’t it? Let’s take a daily example. When you are at the supermarket what kind of announcement do you hear? “An employee is needed at the grocery department” or “An associate is needed at the grocery department” ? For sure the associate name is far more used that employee. In many companies nowadays, the employee is now a associate1; he/she doesn’t execute a task, but works on a project; he/she doesn’t receive a warning but a feedback; his/her boss doesn’t fire him/her, but his/her N+1 gives him/her a new opportunity for his/her career… All these lexical transformations inside the company, linked with new management practices, has absolutely changed our perception of work inside a company. This perception is no more vertical (hierarchy, tasks to execute, constrains) but tends to be horizontal (partners, projects, brainstorming, opportunities). According to this new vision, the individual inside the company is like a free electron, a talent who have an absolute liberty of joining projects, joining companies, leaving projects, leaving companies2. As a matter of fact a Uber driver, despite having all disadvantages of self-employment and losing all advantages of an employee status3, is considered as a talent full of liberty and not depending on any boss. This conception of individuals inside company is now absolutely coherent with the macroeconomic injunction of neoliberalism: free markets hence free workers and vice versa.

Of course this paradigm makes workers more free than before offering them all possibilities for blossom them deeply in their job. Worker can be considered as, what Nietzsche called in German, Ubermensch4(superhuman in English), a pure creature of willingness with no determinism due to its social background, with hands capable of changing its live by the force of its mind. All this sounds pretty optimistic. But this ode à la liberté has his dark consequences. If we take for granted the previous, then everything is under our control for the best and the worst : if you are happy in you job, it is because you successfully created the opportunity in order to be so; but if you cannot be happy in your job, it is your fault, you did the bad choices. All companies give you the liberty – and, even more, the opportunity – of being happy and if you are not, it is because you wasted it. As a consequence, nowadays, some workers in leading companies feel hunted by the culpability of not being happy in their job despite all babyfoot parties and expansive team buildings they are generously offered. Are they majoritarian or only exceptions ? I don’t have the the answer. Nevertheless one can doubt that workers are happier now than before. There has never been so many Happiness Officers5 in companies and has never been so many burnouts. We have never spent so much money in masseurs to distress the stressed workers instead of changing profoundly the management to make it less stressful. I don’t believe birthday celebration cakes, free all-you-can-eat breakfast and casual Fridays will make workers profoundly happier. Maybe the problem is somewhere else. One may argue that working conditions are far more comfortable now than during the industrial revolution. That is true. But this position ignores the power of the discourse, especially on its performative aspects. Namely the worker’s mindset is radically different now from a century ago or even forty years ago. Not only work regulations change our daily relationship to work, but the surrounding narratives impregnating our lives as well. Due their highly symbolic content, these narratives creates representations and underlying injunctions (for instance being happy at work). I do believe that the problem of unhappiness at work depicted before lies more in these neoliberal implicit injunctions than in legal and objective working conditions.

Finally, this paradigmatic change in work organization has somewhat impacted new forms of entertainment: the rise in the eighties of self-development books pretending to make the reader happy in 40 days and in 40 chapters. One can criticize or not the efficiency of such practices. Nevertheless, they all promote the vision of an individual strong and capable of changing his happiness mindset just by himself, without taking into account the (sometimes) strong external social injunctions. A vision defending a hyper individualization of the individual, just in phase with neoliberal theory. It doesn’t mean that these books promote some kind of capitalistic posture. Most of them don’t. Nevertheless, the axiology of these works (and their success) relies on exactly the same background as neoliberalism (in its philosophical perspective at least).

So, what to do now ? One may consider this article as fatalist, as negating every once of liberty and free will in the individual or as promoting a deeply deterministic human nature. However stating that the human is (partially or totally) determined by external factors doesn’t imply a defeatist fatalist posture. In philosophical terms : metaphysical determinism doesn’t imply moral fatalism. In lay terms : being aware of the existence of external factors we cannot change and trying to deconstruct (or, at least, being aware of) neoliberal narratives doesn’t imply that everything is fucked up, pointless, vain and hopeless, and that there is no way to change it. It just states that we cannot blame exclusively ourselves about our fail of being happy at work. Our happiness mindset depends on external social factors we can’t all control. Perhaps accepting them will lower the weight over our shoulder and open new perspectives.

Uber is just a tiny example among many others of the radical change we have been facing for forty years in our society, both on its economical and individual aspects. For now we are all Uber-mensch finding some solace in duck ramens after a difficult day doing brainstorming, iteration meeting and touch bases. But at least we know it. And this makes all the difference.

1 If you are not convinced, just have a look on the carrer page of leading companies websites and assess the vocabulary used. As a bonus, please enjoy holliday message to associates (!) of Walmart : https://one.walmart.com/content/usone/en_us/company/news/top-stories/associate-holiday-video.html?cid=1wmrep

2According to this paradigm, we live in a job market which is like a supermarket: we can choose whatever we want, nobody forces you.

3 For instance, Uber workers do not benefit from unemployement benefits as equaly as regular employees, they are forced to pay back a certain percentage of their rides to Uber but they have niether control either negociation on this percentage and are prone to an arbitrary rise of it.

4 Yeah, you got the title of this paper !

5 Happiness Officer is a very strange new specie of job consiting of making people happy at work or at least making their work hours less depressing.

Fake news et autres épouvantails

Décidément, rien ne va plus en Europe. Le continent des Lumières est désormais imprégné d’un climat maussade hanté par le spectre des alternative facts, infox, intox, fake news et autres maux plus ravageurs les uns que les autres et mettant à mal nos démocraties libérales. Derrière ces armes d’intoxication massive, sont aux manettes nombre de personnages hétéroclites, tous plus complotistes les uns que les autres, enfants terribles de la post-vérité, allant des populistes de tous bords aux présidents étasuniens les plus ubuesques. Face à ce nouveau cancer, les médias de l’establishment (New York Times, The Guardian, Le Monde…), brandissant autrefois la carte du contre-pouvoir politique, font désormais union commune avec nos gouvernements pour mettre un terme à cette vaste campagne de désinformation.

Certains médias se sont auto-designés comme chevaliers blancs dans la lutte contre les fake news. Le microcosme parisien des éditorialistes du Monde s’est lancé dans un projet d’épuration évangélique du paysage médiatique : le Décodex. Ses apôtres, baptisés les Décodeurs, se livrent à une lutte sans merci dans la chasse aux fake news et se sont donnés comme mission d’instruire le lecteur sur les journaux à lire à ne pas lire. Ils décident dès lors de la pluie et du beau temps. Le juge a pris sa place sur le banc des parties. On peut ainsi lire sur le site du Décodex au sujet de l’antenne française de Russia Today : “[RT est] une chaîne de télévision associée à un site d’information, financée par le pouvoir russe, créée en 2005 dans le but de donner une image plus favorable de Vladimir Poutine à l’étranger. Ce média peut présenter des enquêtes de qualité, mais présente le biais de toujours relayer des informations favorables à Moscou.” (1) Cette critique sous-entend deux choses : premièrement la mainmise d’une tierce personne dans le traitement de l’information de la chaîne et secondement la partialité, voire la non véracité, de ses informations. Apprécions ici toute l’ironie de cette analyse quand elle nous vient du Monde. Le groupe Le Monde est détenu au trois quarts par le binôme Xavier Niel et Matthieu Pigasse et a fait montre d’un parti pris certain pour le candidat Macron tout au long de la campagne présidentielle de 2017 allant jusqu’à gonfler de manière excessive les projections pour le deuxième tour. Je laisserai au lecteur le loisir d’apprécier cette indépendance journalistique. Un journal arborant sur les bannières de son site internet nombre de publicités prônant les vertus d’un régime protéiné amincissant en 72 heures, annonçant l’inexacte arrestation de Dupont de Ligonnès, affirmant inlassablement l’évidence d’une ingérence russe (décidément ces Russes…) dans les élections américaines alors que le rapport Mueller a définitivement réfuté cette hypothèse, un tel journal peut-il vraiment s’enorgueillir d’une maîtrise parfaite de l’art du fact checking ? Mais soit. Quand il s’agit du Monde, ces fautes sont reléguées au rang de simple erreurs éditoriales involontaires. Mais quand il est question de son homologue russe, on préférera les qualifier de fake news. Apprécions ce deux poids deux mesures.

Mon point n’est pas tant de mettre en lumière ce double discours médiatique qui opère dans les comités de rédaction des journaux respectés (et supposés respectables), mais plutôt de montrer que se lancer dans une entreprise de censure des fake news, c’est simplement faire montre d’une incompréhension profonde sur la nature non seulement de la presse mais a fortiori également celle du débat public. Lapalisse nous dirait, à raison, qu’un journal ne nous livre jamais le récit d’un fait dans son objectivité pure comme s’il était dépouillé de tout parti pris. Les biais éditoriaux, intentionnels ou non, excessifs ou non, politiques ou non, sont légion dans la presse et en constituent l’essence même. Mais ils ne sont en aucun cas une imperfection ou une faiblesse. Ils ouvrent en réalité un champ de possibles au débat public qui accouchera, tôt ou tard, de l’explication la plus crédible pour un fait donné (2). Plus la presse sera plurielle, plus elle sera une. Les journaux sont partiaux mais la presse, synthétisée dans sa globalité, tend vers une ébauche d’impartialité. L’objectivité résultante de cette synthèse est directement proportionnelle à la pluralité des subjectivités. Introduire une loi interdisant les fake news, c’est refuser la tenue de ce débat public et sombrer dans l’arbitraire et l’unilatéral. Il est d’ailleurs amusant que ce type de loi soit défendu au nom de la vérité objective et scientifique des faits. Or ces défenseurs refusent systématiquement toute remise en cause de l’interprétation de ces faits. Une remise en cause qui est pourtant partie intégrante de la démarche scientifique dont ils se réclament eux-mêmes. En êtres sachant, ils vous répondront (en glissant, sans s’en rendre compte, du terrain de la science à celui du politique) que ces contre-vérités peuvent nourrir des thèses conspirationnistes. Quoi de mieux dès lors que de voter une loi de censure briguant une unique vérité officielle, qui viendra inéluctablement donner de l’eau au moulin des conspirationnistes ? Une si belle ironie du sort…

Mais le nœud problématique des lois anti fake news ne se cristallise pas tant dans la sphère théorique mais plutôt dans la sphère sociale. Le débat autour des fake news est l’arbre qui cache la forêt : la reproduction des rapports de domination face au savoir. Une étude réalisée sur France Inter (première radio de France) a montré que les ouvriers et employés ne représentaient que 1,7% du temps d’antenne, le reste étant majoritairement dévolu aux professions intellectuelles supérieur et cadres d’entreprises alors qu’ils ne représentent qu’un tiers de la population active (3). Un schisme qui ne fait que traduire une réalité plus profonde : l’appropriation confiscatoire du savoir (et sa diffusion) par une élite sociale au détriment des couches populaires. Ce monopole du vrai par l’élite s’exemplifie au quotidien : programme massif d’éducation aux médias en accord avec les valeurs de la République et de la laïcité, mission de décrédibilisation des médias alternatifs chez les jeunes de banlieue pour éviter la radicalisation, ridiculisation en direct de représentants des gilets jaunes ne maniant pas la langue de Molière comme il se devrait… Tout se passe comme si les classes populaires, dotées d’un esprit plus propice à gober les fake news, devraient être éduquées sur comment bien s’informer. L’universitaire instruit, lui, excellerait dans cette science, dont il est l’instigateur, et ne pourra en aucune manière être mis en défaut. Ce mécanisme d’oppression a été théorisé par Pierre Bourdieu sous le nom de violence symbolique (4). Le dominé adopte et incorpore inconsciemment les codes sociaux et idéologiques inculqué par le dominant. Nul besoin pour ce dominant d’imposer par la violence physique ou politique sa supériorité face au savoir, le dominé a déjà intégré le fait qu’il n’a pas la position sociale suffisante pour prendre part à ce débat.

N’ayons donc crainte des fake news et autres épouvantails voulant nous effrayer. Regardons, à l’inverse, comment ces luttes contre le faux s’articulent dans le social et ce qu’elles impliquent bien malgré elles.

(1) https://www.lemonde.fr/verification/source/russia-today-version-francaise/

(2) Il ne s’agit pas ici de prétendre que tout est une question de point de vue et que les faits objectifs n’existent pas, mais de se comporter à l’instar du juge qui, après avoir écouté longuement les plaidoiries des parties, tente de reconstruire l’image la plus plausible du fait en question.

(3) France Inter, écoutez leurs préférences, Le Monde diplomatique, août 2020.

(4) La violence symbolique de Bourdieu, https://1000-idees-de-culture-generale.fr/violence-symbolique-bourdieu/