Pourquoi aimons-nous tant nos petits camarades félins alors notre existence leur indiffère peu ou prou ? Deux explications. Soit nous sommes masochistes. Soit, comme par catharsis, les chats dévoilent quelquefois sur nous. La première option ne mériterait pas un article. Cet article existant, la deuxième option est de mise.
Le chat est peut-être l’archétype du trouble de la personnalité narcissique. À en lire les DSM (1), cette espèce répond à la présence des éléments déterminants suivants : « une gêne lorsqu’ils ne sont pas le centre de l’attention » (la jalousie maladive lorsque nous ne leur donnons pas d’affection), « une interaction avec les autres sous une forme de séduction ou de provocation sexuelle inappropriées » (séductions communes: ronronnement et miaulement plaintifs ; ma libido envers les félins étant inexistante, je ne peux juger la deuxième partie), « l’expression rapidement changeante et superficielle des émotions » (envie de sortir dehors, puis non, puis oui ; griffure subite et inattendue après un excès de caresses), « une utilisation régulière de l’apparence physique pour focaliser l’attention sur eux » (marcher comme si on était à un défilé Prada), « une autodramatisation, une théâtralité et une expression des émotions extravagante » (mimer un combat trépidant face à un rongeur de deux centimètres), « l’interprétation des relations comme plus intimes que ce qu’elles sont » (le pseudo exclusivité féline pour son maître)… J’ajouterai à cela un culte du corps au point de littéralement se le lécher. Le chat n’est que le cristalisation de l’individualisme narcissique contemporain, pensant que sa personne est spéciale et mériterait un traitement particulier. De cet individualisme, il en séparer le bon grain de l’ivraie : il promeut la grande vie indépendante, mais pas autonome (les croquettes ne tombent pas du ciel après tout). Le beurre et l’argent du beurre.
Quel est l’éthos politique de ce genre d’espèce ? En réalité, le chat est assez bourgeois. Comme le montre le sondage de l’IFOP (2), les ménages modestes et ouvriers optent pour un chien et les ménages plus aisés et les catégories socioprofessionnelles supérieures pour un chat. Les chiens sont de gauche et les chats de droite. Les chiens sont des gauchistes progressistes : universalistes dans leur amour inconditionnel pour tout humain (indépendamment de la religion, du genre et de l’origine), l’aide à son prochain (skieurs ensevelis sous les avalanches, aveugles, bergers, sans-abris…), prônent le multiculturalisme culinaire (tant que c’est comestible)… Les chats sont des bourgeois conservateurs : obédience à un seul maître, détestent la présence d’étrangers chez eux, dissimulent des avoirs nauséabonds, leurs papilles ne trouvent goût que pour certains mets (les autres étant relégués au lumpenprolétariat canin), retombent toujours sur leurs pattes telle la plasticité du capitalisme…
Mais en dehors de ces débats partisans, n’aurions-nous pas tous un quelque chose de félin ? Sans doute nous avons en commun avec eux l’aspiration contemporaine au cocooning, au safespace, au culte de soi, à l’autonomie sans contrainte, à l’individualisme, au ni dieux ni maître, au parricide d’Œdipe par Narcisse, au « jouir sans entrave » soixantehuitard… Entre frissons anarchistes et idéaux libéraux libertaires, nous voyons une féli(c/n)ité dans cet être qui nous est à l’heure inaccessible.